top of page

Dossier - l’Affaire Grégory, 40 ans après

Même 40 ans après, son visage d’ange et ses yeux rieurs sont connus et reconnus de tous. Le 16 octobre 1984, un peu après 21 heures, le corps sans vie d’un garçonnet, alors complètement inconnu, Grégory Villemin, est retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne, une rivière des Vosges. À ce moment-là, l’une des enquêtes les plus longues et laborieuses de l’histoire judiciaire française est sur le point de débuter.


Malgré les moyens humains et matériels déployés depuis plus de 40 ans maintenant, l’auteur du crime n’a jamais été retrouvé et pour cause : l’acte odieux s’inscrit dans une histoire familiale complexe, teintée de rivalités et de jalousies inavouées. Retour 40 ans en arrière, aux origines mêmes de l’affaire Grégory.


1976 : rencontre de Christine Blaise et Jean-Marie Villemin.


20/01/1979 : mariage du couple en petit comité, entourés de leurs parents et de leurs témoins respectifs. Christine Blaise devient Christine Villemin.


24/08/1980 : naissance de Grégory Gilbert Villemin à Saint-Dié-des-Vosges. Il est le premier enfant du couple.


En 1981, des corbeaux à la voix rauque commencent à contacter diverses personnes de la famille de Jean-Marie. Tantôt une voix de femme, tantôt une voix d’homme, personne ne comprend qui est ce. Une chose est sûre : ce dernier fait indubitablement partie de la famille, car il en connaît les moindres secrets. L’histoire de Gaston Villemin, père d’Albert Villemin, grand-père paternel de Jean-Marie Villemin est souvent contée et moquée par le corbeau.


Prisonnier de guerre durant la seconde guerre mondiale, il est libéré en 1942. À son retour au village, il apprend que Jeanne-Marie, sa femme, est partie avec un soldat allemand. Ce départ soudain, cumulé à la mort de leur fils Étienne Villemin, 4 ans en 1931, à la suite des coups portés par Jeanne-Marie, sa propre mère, laisse Gaston Villemin complètement dévasté. Il finit par se suicider, en se pendant. De même, Léon Jacob, le père de Monique Villemin, ellemême mère de Jean-Marie Villemin, a fait un enfant à Louisette, sa propre fille. Là aussi, ce sombre secret de famille n’est pas inconnu du corbeau, qui s’en sert volontiers pour torturer la famille. Parmi ses victimes favorites, Jean-Marie et Christine Villemin, mais aussi Monique et Albert Villemin, grands-parents paternels de Grégory.


16/10/1984, 16h55 : Christine Villemin quitte le travail et récupère Grégory chez sa nourrice. Une fois rentrés au domicile familial, Grégory aurait demandé à sa mère de jouer dehors. Christine Villemin le couvre d’un bonnet, en raison du froid qui commence à tomber, et le laisse jouer sur un tas de gravier devant la maison. Elle profite de ces quelques minutes de répit pour faire du repassage, tout en écoutant l’émission Les Grosses Têtes sur RTL.


16/10/1984, 17h20 : Christine appelle Grégory, une fois, deux fois, en vain. Elle sort pour aller le chercher, mais il n’est plus sur le tas de gravier sur lequel il jouait une demi-heure auparavant. Prise de panique, elle hurle le nom de son fils, sans succès. Elle saute dans sa voiture et part à sa recherche. Puisque Grégory est un enfant assez débrouillard et réfléchi malgré son très jeune âge, Christine se précipite chez la nourrice de son fils, pensant que celui-ci a voulu retourner jouer avec ses camarades.


16/10/1984, 17h27 : les parents de Grégory ne le savent pas encore, mais le corbeau vient d’appeler les grands-parents paternels de Grégory, pour revendiquer le crime. Ces derniers n’ayant pas répondu, le corbeau se décide alors à appeler Michel Villemin, le frère aîné de Jean-Marie. Il annonce, d’une voix dénuée de toute émotion, « Je te téléphone car cela ne répond pas à côté. Je me suis vengé du chef et j'ai kidnappé son fils. Je l'ai étranglé et je l'ai jeté à la Vologne. Sa mère est en train de le rechercher mais elle ne le trouvera pas. Ma vengeance est faite ».



16/10/1984, 17h50 : Toujours sans nouvelle de son fils, Christine alerte la gendarmerie de sa disparition et prévient Jean-Marie, qui sort en catastrophe de l’usine dans laquelle il travaille.


16/10/1984, 21h15 : malgré les moyens humains et matériels Grégory demeure introuvable. Suivant les dires du corbeau, les pompiers décident de draguer la Vologne, pour retrouver le garçon. À 21h15, ils font une découverte macabre : Grégory est retrouvé pieds et poings liés, son bonnet rabattu sur sa tête et une expression paisible trône sur son visage.


17/10/1984 : Jean-Michel Lambert, juge d’instruction âgé de 32 ans, est chargé d’instruire le dossier. Dans le même temps, Jean-Marie et Christine reçoivent à leur domicile une lettre, signée du corbeau. D’après l’oblitération, cette dernière a été postée la veille, aux alentours de 17h15, donc juste après que Christine se soit aperçue de la disparition de son fils. Cette lettre revendique le crime : « J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance. Pauvre con ». Sitôt mis au courant de la lettre envoyée aux parents de Grégory, les enquêteurs découvrent que l’affaire s’inscrit dans une jalousie intra-familiale, le corbeau évoquant l’argent de JeanMarie, contremaître dans une usine, contrairement au reste de sa famille, ouvriers de filature.


17/10/1984 : Dans le même temps, l’autopsie du corps de Grégory a lieu. Celui-ci ne présente aucune trace apparente, à l’exception d’une ecchymose d’un centimètre sur la tête. Ses lèvres sont cyanosées et ses poumons distendus, indiquant que Grégory était vivant au moment où il a été immergé dans l’eau. Des prélèvements toxicologiques indiquent que Grégory n’avait pas d’alcool dans le sang. Néanmoins, l’autopsie a soulevé de nombreuses controverses, notamment au sujet des décisions prises par le sujet Lambert, présent lors de celle-ci. Malgré l’insistance des deux médecins légistes, le juge a refusé l’analyse des viscères du garçon, ainsi que l’analyse de l’eau retrouvée dans ses poumons, ce qui ne permet pas de valider complètement la cause du décès. Le docteur Breton, expert en toxicologie, explique dans un livre intitulé Interdit de se tromper, qu’il est impossible de mourir d’hydrocution et de noyade. C’est soit l’un, soit l’autre. Pas les deux. Or, la description du corps par les médecins légistes indique clairement une noyade. Ainsi, l’autopsie apparaît comme étant très incomplète, car elle n’a pas permis d’indiquer clairement si Grégory a été ligoté avant, ou après sa mort, et quelles étaient les conditions exactes de sa mort, car les médecins légistes n’ont pu faire que des suppositions compte tenu des circonstances.


18/10/1984 : 140 personnes, membres de la famille ou proches sont soumis à l’épreuve de la dictée, afin de découvrir qui a écrit les lettres du corbeau


19/10/1984 : obsèques de Grégory dans une atmosphère très lourde. De nombreux journalistes sont présents pour filmer et photographier la scène, et les enquêteurs sont présents sur place, convaincus que le corbeau et l’assassin se trouvent dans l’assemblée. Ils traqueront durant toute la durée des obsèques, des comportements étranges, en vain. En raison du climat très lourd, Christine Villemin s’évanouit et doit être évacuée du cimetière aux côtés de son mari, les empêchant d’assister à la totalité de l’inhumation de leur fils.


24/10/1984 : les époux Villemin se constituent partie civile, afin de pouvoir accéder au dossier d’instruction.


25/10/1984 : les gendarmes entament les premières reconstitutions. Ils découvrent que le corps de l’enfant a été jeté dans la Vologne derrière la caserne des pompiers de Docelles, donc en plein milieu du village.


31/10/1984 : Muriel Bolle, petite sœur de Marie-Ange Laroche, elle-même femme de Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin, est entendu par les gendarmes. Elle affirme que Bernard, son beau-frère, est innocent car il se trouvait chez sa tante Louisette. Or, cet alibi demeure invérifiable car Louisette ne savait lire l’heure, donc il lui était impossible de déterminer avec certitude quand Bernard Laroche se trouvait chez elle.


02-03/11/1984 : plusieurs éléments attirent l’attention des enquêteurs, qui commencent à douter de la véracité des dires de Murielle Bolle et de Bernard Laroche. Murielle est réinterrogée. Elle raconte aux enquêteurs que le 16 octobre, Bernard est venu la chercher à la sortie du collège. Ils seraient ensuite allés devant une maison de Lépanges-sur-Vologne, identifiée comme étant celle des Villemin, devant laquelle Laroche se serait arrêtée. Il serait descendu de voiture et serait revenu avec un petit garçon. Ils auraient roulé jusqu’à Docelles, où Laroche se serait arrêté, serait descendu avec le garçonnet, avant de remonter dans la voiture quelques minutes plus tard, seul. Dans le même temps, les experts en écriture émettent leurs premières conclusions : ils pensent que l’écriture de Bernard Laroche présente de nombreuses similitudes avec l’auteur de la lettre revendiquant le crime.


05/11/1984 : Murielle Bolle réitère ses déclarations devant Jean-Michel Lambert, le juge d’instruction. Bernard Laroche est immédiatement arrêté sur son lieu de travail, les médias filment son arrestation en direct. Au plus grand étonnement de tout le monde, malgré les révélations inédites de Murielle sur son beau-frère, celle-ci n’est pas isolée de sa famille ce soir-là.


06/11/1984 : Contre toute attente, le lendemain de la mise en examen de son beau-frère, Murielle est interrogée de nouveau et nie en bloc tout ce qu’elle a déclaré la veille. Elle dit que les gendarmes ont fait pression sur elle, et qu’ils avaient menacé de la placer en maison de correction. Elle se serait alors sentie obligée de leur dire ce qu’eux voulaient entendre, plutôt que la prétendue vérité.


04/02/1985 : Jean-Michel Lambert libère Bernard Laroche, puisque les charges contre lui s’amenuisent : avec les rétractations de Murielle Bolle et l’annulation d’un certain nombre de pièces du dossier, le juge d’instruction ne considère plus comme utile sa détention. Jean-Marie Villemin annonce alors son intention de le tuer, devant des journalistes. MarieAnge Laroche demande une protection policière pour protéger son mari, en vain.


29/03/1985 : Jean-Marie Villemin, convaincu de la culpabilité de Bernard Laroche, le tue d’une balle dans la poitrine à son domicile, sous les yeux de sa femme, et de son fils de 4 ans, Sébastien Laroche. Jean-Marie Villemin est immédiatement arrêté.


04/1985 : le bruit court à Lépanges-sur-Vologne : Christine Villemin, la propre mère de Grégory, est suspectée par les habitants du village. Après tout, elle est la dernière à avoir assurément vu son fils en vie, arguent-ils. En juillet 1985, elle est inculpée d’assassinat et placée en détention provisoire. Pourtant enceinte de 6 mois, elle entame, avec son mari lui aussi enfermé dans une autre prison, une grève de la faim.


1987 : la Cour de cassation confie à Maurice Simon, magistrat aguerri, l’instruction de l’affaire. Il succède ainsi à Jean-Michel Lambert. Il constitue un dossier de 19 000 pages, procède à 200 auditions et organise une reconstitution de 3 jours. Dans un de ses carnets, dans lesquels il consignait ses impressions personnelles sur l’affaire, il déclare, au sujet de son prédécesseur : « On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes […] ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l’erreur judiciaire dans toute son horreur. ». Il est dessaisi de l’affaire en 1990 car il rompt avec son devoir de neutralité en déclarant, alors qu’il est enregistré à son insu, qu’il est convaincu de la culpabilité de Bernard Laroche dans l’enlèvement de l’enfant.


Novembre 1993 : Jean-Marie Villemin est jugé pour l’assassinat de Bernard Laroche. Après 6 semaines d’audience intense, il est finalement condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis. Cette peine apparaît comme très légère au regard de la peine maximale que Jean-Marie encourait. Il est finalement libéré deux semaines après l’annonce du verdict, ayant purgé la totalité de sa peine.


2008 : à la demande de Christine et Jean-Marie Villemin, le procureur général de la cour d’appel de Dijon rouvre l’instruction judicaire concernant l’assassinat de Grégory, afin de procéder à de nouveaux tests sur l’ADN qui aurait pu être laissé sous les timbres des lettres par le ou les corbeaux.


2017 : le juge Lambert, premier juge d’instruction de l’affaire, est retrouvé mort à son domicile, un sac plastique noué sur la tête à l’aide d’une cravate. Il s’est vraisemblablement suicidé. Son suicide fait suite à la diffusion dans les médias des commentaires de Maurice Simon sur la façon dont il a mené son enquête (« On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes […] ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l’erreur judiciaire dans toute son horreur »).


Le plus gros fiasco de l’histoire judiciaire française


Dès les premières minutes, l’affaire Grégory s’enracine dans un fiasco judiciaire et médiatique total. Alors que le corps du garçonnet vient juste d’être découvert dans la Vologne, la scène de crime n’a nullement été protégée. Des gendarmes, des témoins, des villageois et même des journalistes affluent en masse sur les rives de la Vologne et assistent à la découverte macabre. Première erreur de l’instruction.


Les erreurs se multiplient par la suite, notamment lors de l’autopsie et pour cause : après celle-ci, les parents de Grégory n’ont toujours pas la moindre idée de l’heure à laquelle leur fils a été tué, et dans quelles circonstances. Pire encore, sous ordre du juge d’instruction, le sang est prélevé en trop faible quantité pour pouvoir être analysé, et les viscères de l’enfant ne sont pas prélevés, alors qu’ils auraient fourni de précieux indices aux enquêteurs pour déterminer les causes de sa mort.


En novembre 1984, Murielle Bolle déclare aux gendarmes qu’elle était dans la voiture de Bernard Laroche quand celui-ci a enlevé l’enfant. Les gendarmes contactent alors immédiatement le juge Lambert, qui repousse au lundi l’audition de la jeune Murielle. Celle-ci est alors remise à sa famille. Le lundi, elle livre de nouveau cette version aux enquêteurs. Lambert, en conférence de presse, se félicite de l’avancée de l’enquête grâce à un « témoignage capital ». Immédiatement, le nom de Murielle fuite dans la presse. Selon des témoins, elle aurait subi des violences et pressions de sa famille, qui aurait insisté pour qu’elle se rétracte. Le lendemain, quand le juge Lambert l’interroge enfin, elle livre une version complètement différente, prétextant avoir menti par peur des gendarmes. Elle ne reviendra jamais sur ses dires. La troisième erreur de l’instruction est d’avoir laissé Murielle Bolle rentrer chez elle ce soir-là : qui sait ce qui se serait passer par la suite pour la résolution de l’enquête.


À ce revers inattendu s’ajoute, un mois plus tard, la suppression d’une partie des expertises ajoutées au dossier, à la demande des avocats de Bernard Laroche. JeanMichel Lambert n’a pas respecté la procédure de saisine des experts. Quatrième erreur de l’instruction.


En février 1985, alors que Bernard Laroche est libéré de prison, Jean-Marie jure de le tuer, devant des journalistes. Inquiète pour son mari, Marie-Ange Laroche demande une protection de celui-ci par la gendarmerie. Celle-ci, dessaisie de l’affaire au moment de la libération de Bernard Laroche, refuse. Cinquième erreur de l’instruction, qui a fait une deuxième victime dans cette affaire sordide.


En mai 2002, la cour d’appel de Versailles condamne l'État à verser 63 000 euros à MarieAnge Laroche et Murielle Bolle en raison d’une « inaptitude à remplir sa mission ».


En conséquence de toutes ces erreurs procédurales et judiciaires, l’État est condamné de nouveau le 28 juin 2004, et doit verser 35 000 euros à Christine Villemin, et 35 000 euros à Jean-Marie Villemin en raison du dysfonctionnement de la justice.


L'affaire Grégory a laissé un héritage amer dans l'histoire judiciaire française. Les critiques ont souligné des procédures incohérentes, une absence de coordination et des pressions médiatiques qui ont détourné l’enquête de sa mission première : découvrir la vérité et rendre justice. Ce fiasco a également mis en lumière la vulnérabilité des familles de victimes face à un système judiciaire et médiatique impitoyable.


Le rôle des médias dans l’affaire


Depuis 1984, l’affaire Grégory a généré pas moins de 3 000 articles de presse et inspiré 15 livres. Il est aussi le sujet de près de 50 travaux universitaires, témoignant de l’impact durable qu’elle a eu sur la réflexion académique. En 2006, l’affaire a même été adaptée en fiction : ce téléfilm, diffusé sur France 3 a nourri la fascination publique pour ce crime abject.


Dès le début même de l’affaire, la presse, avide de détails inédits, et de scoops pour faire les gros titres, stationne jour et nuit aux abords de la brigade de gendarmerie, suivant chaque déplacement des enquêteurs. Cette frénésie aboutit à des comportements plus que controversés. Dans la course effrénée à l’exclusivité, les journalistes n’hésitent pas à franchir la ligne jaune : déguisements en gendarmes, micros dissimulés dans des armoires, vols de photos de famille, et paiements généreux pour des informations exclusives.


Cette course à la sensation et au pathos est bien illustrée par Marguerite Duras qui publie, le 17 juillet 1985, Sublime, forcément sublime Christine V., dans le journal Libération, au sujet de l’affaire Grégory. L’autrice se fait médium, en affirmant « Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison […]. On l’a tué dans la douceur ou dans un amour devenu fou ». Évidemment, dès sa parution, l’article suscite un tollé, les lecteurs se questionnant sur la légitimité d’une autrice à prendre la parole sur une affaire criminelle en cours d’instruction, alors que cette dernière ne possède aucune formation juridique. Marguerite Duras va encore plus loin en sous-entendant, tout au long de l’article, que la mère de Grégory serait en réalité la coupable : « Regardez bien autour de vous : quand les femmes sont comme celle-ci, inattentives, oublieuses de leurs enfants, c’est qu’elles vivent dans la loi de l’homme, qu’elles chassent des images, que toutes leurs forces, elles s’en servent pour ne pas voir, survivre ».


L’Affaire Grégory, en raison de son sujet : le meurtre de sang-froid d’un enfant de 4 ans, a ému la France entière, en 1984 comme aujourd’hui.


C’est précisément le caractère universel du drame qui explique pourquoi l’affaire a tant cristallisé l’attention. Quel parent n’a jamais laissé son enfant jouer devant chez lui quelques minutes, le temps de faire du repassage ? Au fil des décennies, cette affaire est devenue un cas d’école sur les dérives du journalisme lorsque celui-ci cède à la pression de l’immédiat et de l’audience. Si les médias ont permis de garder l’affaire vivante dans la mémoire collective et ont encouragé le public à s’interroger sur le fonctionnement de la justice, ils ont également exposé la famille Villemin à une surmédiatisation traumatisante.


Répercussions et conséquences de l’affaire aujourd’hui


40 ans après le drame, les hypothèses continuent d’affluer pour tenter de résoudre cette affaire sordide. Il y a quelques années, une nouvelle hypothèse a cheminé dans l’esprit des enquêteurs. Trois semaines après le crime, une ampoule vide et une seringue d’insuline sont retrouvées derrière le local des pompiers de Docelles, d’où le corps de Grégory a certainement été jeté dans la Vologne. Bien que ces éléments matériels puissent laisser penser à l’utilisation de l’insuline pour provoquer un coma hypoglycémique avant de jeter l’enfant dans la Vologne, l'autopsie réalisée à l’époque était trop sommaire pour confirmer cette hypothèse. Malgré tout, cette théorie aurait le mérite d’éclaircir certaines zones d’ombre, comme l’air détendu sur le visage de Grégory lorsque son corps a été découvert. Ainsi, encore aujourd’hui, des hypothèses viennent continuer d’alimenter l’affaire.


L’affaire Grégory a également suscité un intérêt culturel soutenu. Récemment, une bande dessinée retraçant l’histoire de Grégory et de son entourage a été publiée, en accord avec les parents de Grégory. Jean-Marie Villemin en a même rédigé la préface. Cet ouvrage s’inscrit dans une tendance plus large qui voit les événements tragiques de l’histoire se transformer en œuvres littéraires ou visuelles, offrant une réflexion sur les échecs d’un système judiciaire souvent perçu comme défaillant.


De plus, l’affaire a donné naissance à des communautés en ligne, comme des groupes Facebook et des chaînes YouTube, où les passionnés et les curieux échangent des informations et des analyses sur le sujet. Plus inquiétant cette fois, le tourisme dit « macabre » se développe à Lépanges-sur-Vologne, autour de curieux qui souhaitent découvrir les lieux du crime de plus près : ancienne maison de Christine et Jean-Marie Villemin, lieu de la découverte du corps de Grégory. Même si le corps de Grégory a été exhumé le 23 février 2004 à la demande de ses parents qui ne vivaient plus dans les Vosges, des touristes continuent de se rendre dans le cimetière de Lépanges-surVologne, sur l’ancienne tombe de l’enfant. Ceux-ci vont jusqu'à rendre hommage à l’enfant dans l’église. Aujourd'hui, l'affaire Grégory ne représente pas seulement un tragique fait divers ; elle est devenue un symbole des erreurs judiciaires et des souffrances humaines. Les répercussions de cette affaire sont profondes, affectant non seulement les familles directement impliquées, mais aussi la société dans son ensemble.


Peut-on enfin espérer connaître la vérité un jour ?


Depuis 1984, les multiples rebondissements et les coups de théâtre, une question demeure : peut-on un jour espérer découvrir la vérité et apprendre qui a kidnappé et assassiné Grégory ?


Le procureur a récemment affirmé qu'il « y a toujours un espoir dans la mesure où le dossier n'est pas fermé. Mais, d'un point de vue scientifique, l'espoir s'éloigne. » Cette déclaration illustre la désillusion croissante face aux difficultés d'obtenir des preuves concrètes. Les avancées scientifiques ont certes permis de faire progresser certaines enquêtes, mais dans ce cas précis, elles semblent moins prometteuses.



Cependant, l'avocate Me Marie-Christine Chastant-Morand offre une perspective plus optimiste en déclarant que « tout espoir scientifique n'est pas perdu ». Elle souligne que l'absence de correspondance entre les ADN trouvés sur les vêtements de Grégory et ceux des personnes prélevées ne signifie pas qu'elles sont toutes innocentes. En effet, elle rappelle que les parents et la nourrice ont interagi avec l’enfant avant sa mort, et leurs ADN auraient dû être présents sur ses vêtements. Si ces traces ne figurent pas, cela soulève la possibilité que l'ADN de l’assassin puisse également être absent des analyses.


À ce jour, neuf profils ADN restent non identifiés, et plus aucun suspect n'est actuellement poursuivi. Cette impasse soulève des inquiétudes quant à la capacité des enquêteurs à aboutir à des conclusions définitives. Malgré tout, la lutte pour la vérité continue de fasciner et d'impliquer de nombreuses personnes. Les médias, les documentaires, et même les réseaux sociaux maintiennent l'affaire vivante dans l'esprit du public. Chaque nouvelle information ou révélation, même minime, ravive l'espoir de certaines familles et des proches de Grégory.


Aujourd’hui, Jean-Marie et Christine Villemin se reconstruisent à l’écart des Vosges, dans un anonymat total. Ils sont parents de trois enfants : Julien, né en 1985, Emelyne, née en 1990, et Simon, qui tient son nom du juge Maurice Simon, à qui Christine et Jean-Marie Villemin ont voulu rendre hommage pour le remercier de la reprise de l’instruction. L’aîné est aujourd’hui papa, et directeur d’une entreprise d’optique franchisée. La cadette est professeure agrégée de SVT et le benjamin préparait, aux dernières nouvelles, le CAPES pour devenir éducateur sportif.


Conclusion


L'affaire Grégory Villemin, marquée par un juge qui se suicide, un suspect assassiné, trois mises en examen annulées, un juge devenu amnésique, témoigne d'une enquête chaotique qui s'étend maintenant sur quatre décennies.


Les errements judiciaires, les tensions familiales et la médiatisation à outrance ont engendré un véritable fiasco, remettant en question l’efficacité du système judiciaire français. Les tragédies personnelles se mêlent à l’horreur de ce crime, soulignant que, derrière les dysfonctionnements et les spéculations, il reste une réalité tragique : un enfant a été tué en raison de la haine d’adultes.


Au-delà des rebondissements et des drames humains, cette affaire nous rappelle l’importance de la recherche de vérité et de justice, non seulement pour Grégory, mais pour toutes les victimes de l'indifférence et de la défaillance du système. Quarante ans après, le poids de cette tragédie continue de peser sur les consciences, et il est impératif de ne jamais oublier que derrière les faits divers se cachent des vies brisées.


NB : Pour des raisons évidentes d’exhaustivité, tous les faits de l’affaire ne sont pas forcément retracés, ou le sont brièvement. Il reste compliqué de mentionner tous les faits d’une affaire judiciaire de 40 ans en quelques pages.


Comments


bottom of page