Dix ans après : on ne peut plus rien dire ?
- Tristan NANCEY
- 3 févr.
- 3 min de lecture
Dix ans ont passé ! Le 7 janvier 2025, Charlie Hebdo titre : « Increvable » accompagné d’un dessin se moquant des terroristes en représentant un lecteur lisant leur journal assis sur une kalachnikov. Que reste-t-il de l’esprit Charlie ? Sommes-nous toujours prêts à nous battre pour que vive la liberté d’expression ?

La réponse à cette question doit être simple. Si vous acquiescez sans hésitation avant de vous raviser et d’émettre ne serait-ce qu’une conjonction de coordination à l’instar de « mais », une question se pose. Dire que les victimes ne méritaient pas le sort qui leur a été réservé, mais qu’il ne faut pas non plus, sur certaines questions, prendre des positions qui pourraient choquer est le début d’une rhétorique délétère.
Le risque (de plus en plus actuel) est de tomber dans une société complètement fade, où toute subtilité aura disparu, où toute discussion sera d’une banalité sans commune mesure. D’abord, comment déterminer si un sujet dérange ? Sur 68 millions de Français, il y aura forcément un individu qui se sentira personnellement visé par tel ou tel propos, ce qui est une dynamique contemporaine à la tendance de nos sociétés pour l’individualisme. Plus les requêtes individuelles prennent de l’importance, plus l’expression s’en trouve réduite.
Évidemment, on a le droit de ne pas apprécier, de ne pas trouver drôle le contenu présenté. Pourtant, rien n’empêche de ne pas acheter ou de ne pas regarder. En 2015, les fossoyeurs de la liberté d’expression étaient une infime minorité. La défense de cette noble cause concernait tout le monde. Maintenant, le recul de celle-ci ne dérange plus grand monde. Dans leur numéro du 7 janvier 2025, Charlie Hebdo publie un sondage inquiétant qui explique qu’un tiers des jeunes de moins de 35 ans considèrent qu’on ne peut pas dire ni caricaturer n’importe quoi sous couvert de la liberté d’expression ! Désormais la remise en cause de cette dernière, jadis exercée par l’État, l’est désormais par des groupes minoritaires associatifs, religieux ou politiques. Les réseaux sociaux ont bouleversé les codes et ont notamment facilité la mise en relation entre les personnalités ou journaux qui prennent des positions controversées, et ceux qui voudraient l’en empêcher.
Le plus inquiétant est peut-être à venir lorsque, le regard tourné vers l’outre-Atlantique, nous dressons une analyse sur ce sujet de la société américaine. Face à la pression, le New York Times a cessé en avril 2019 la publication de ses dessins de presse après une polémique lancée à partir d’une représentation du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou tenu en laisse par Donald Trump, lors de son premier mandat à la présidence des États-Unis, ce dernier portant des lunettes d’aveugle. La publication avait pour but d’illustrer le fait que Trump suivait aveuglement la politique de Netanyahou. Le nombre de dessinateurs de presse aux États-Unis a été divisé par dix en trente ans, plusieurs professionnels de la caricature s’en inquiètent, comme Coco, Kak ou Olivier Ranson sur Radio France. Aux USA, les dessins humoristiques portent uniquement sur la politique, souvent facile à tourner en dérision. Là bas, ils ont abandonné les contenus volontairement décalés concernant un prisme sociétal comme l’égalité homme-femme, le racisme ou les religions, sujets jugés comme trop sensibles.
Défendre la liberté d’expression, c’est aussi défendre le droit de choquer autrui par ses positions, si toutefois elles respectent les limites énoncées par le cadre juridique précis en vigueur. Il faut lutter contre l’ensemble des renoncements qui souhaiteraient mettre à mal la liberté dont dispose les dessinateurs de presse comme l’ensemble des citoyens, de s’exprimer. Cette expression libre d’opinions est précisément ce qui maintient un régime démocratique. Au contraire, faisons la promotion de l’art français pour la controverse, celui de ne pas être d’accord, d’en débattre calmement ! C’est ce pourquoi nous avons fondé Visions Croisées, un média où de multiples opinions se croisent et où chacun a le droit de défendre ses positions sans risquer les invectives d’un collègue, d’un ami.

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